« La Palestine n’a jamais existé » ? Une réponse à une falsification de l’histoire
À ceux qui répètent inlassablement que « la Palestine n’a jamais existé en tant qu’État », permettez-moi une
question simple : l’État d’Israël existait-il avant 1948 ? Non. Pas plus que le Koweït avant 1961, le Liban avant
1943, la Jordanie avant 1946, ou encore l’Algérie avant 1962. Faut-il pour autant nier l’existence de leurs
peuples ? Justifier leur expulsion ou leur oppression au prétexte qu’ils n’avaient pas d’État souverain moderne
avant leur indépendance ?
En vérité, le monde est rempli d’États qui n’existaient pas jusqu’à récemment, sans que cela ne remette en cause
la légitimité de leurs peuples ni leur droit à l’autodétermination.
Voici quelques exemples concrets :
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🔹 États issus de la décolonisation
Algérie : indépendante de la France en 1962.
Tunisie et Maroc : indépendants en 1956.
Ghana : premier pays d’Afrique subsaharienne à devenir indépendant en 1957.
Inde et Pakistan : créés en 1947 à la fin du Raj britannique.
Bangladesh : séparé du Pakistan en 1971.
Mozambique, Angola, Guinée-Bissau : indépendants dans les années 1970 du Portugal.
🔹 États issus de la fin des empires
Ukraine, Estonie, Lettonie, Géorgie, Arménie… : indépendants après la chute de l’URSS en 1991.
Tchéquie et Slovaquie : séparées pacifiquement en 1993.
Ex-Yougoslavie : devenue Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro, Kosovo…
🔹 États issus de l’occupation ou du mandat colonial
Liban : indépendant en 1943 (mandat français).
Syrie : indépendante en 1946 (mandat français).
Jordanie : indépendante en 1946 (mandat britannique).
Koweït : indépendant du Royaume-Uni en 1961.
Israël : créé en 1948 à l’issue du mandat britannique sur la Palestine.
🔹 Cas récents ou contestés
Soudan du Sud : devenu indépendant en 2011.
Érythrée : indépendante de l’Éthiopie en 1993.
Timor-Leste : indépendant en 2002 après l’occupation indonésienne.
Kosovo : proclamé en 2008 (partiellement reconnu).
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Dans tous ces cas, l’État n’existait pas juridiquement avant sa déclaration d’indépendance ou sa reconnaissance
internationale. Cela ne signifiait pas que le peuple n’existait pas. Cela ne justifiait pas que l’on puisse nier leur histoire,
refuser leurs droits, ou pire : les expulser, les coloniser, les effacer.
Et pourtant, dans le cas de la Palestine, certains osent affirmer que "le peuple palestinien n’existe pas", au motif que
l’État palestinien n’aurait jamais été souverain. C’est une manipulation dangereuse : confondre la forme étatique
moderne avec l’existence d’un peuple.
Ajoutons à cela une autre distorsion : celle qui prétend qu’Israël existerait "depuis des milliers d’années", et que les
Juifs reviennent simplement "sur leur terre". Certes, des royaumes hébreux ont existé en Palestine antique. Mais avant
eux, il y avait les Cananéens, les Philistins, les Araméens ; après eux, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les
Ottomans… L’histoire de cette terre est stratifiée, multiple, partagée. Nul n’en a le monopole exclusif.
> Revendiquer un droit absolu sur une terre au nom d’une présence antique, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Faut-il
rendre l’Andalousie aux Arabes ? L’Amérique aux seuls peuples autochtones ? L’Anatolie aux Grecs ? La Palestine
n’échappe pas à la complexité du temps.
Et surtout, rien ne permet d’établir que les Israéliens actuels sont les descendants directs des Hébreux de l’Antiquité.
L’historien israélien Shlomo Sand l’a démontré[1] : l’identité juive s’est construite dans l’exil, au fil des siècles, avec
conversions, diasporas, brassages. Elle mérite le respect, certes, mais ne donne aucun droit au nettoyage ethnique.
En revanche, les Palestiniens vivent sur cette terre depuis des siècles, dans leurs villages, leurs villes, leurs traditions,
reconnus par les autorités ottomanes, britanniques, et même par les premiers sionistes eux-mêmes. Leur présence est
continue, enracinée, réelle.
> La négation de la Palestine comme État ne justifie ni l’occupation, ni l’apartheid, ni l’épuration. C’est une arme
idéologique, pas un argument historique.
La Palestine existe. Non pas comme un fantasme ou une revendication abstraite, mais comme une réalité humaine,
historique et politique. Elle mérite un avenir, pas l’effacement.
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Références :
[1] Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, 2008.
[2] Rashid Khalidi, The Hundred Years' War on Palestine, Metropolitan Books, 2020.
[3] King-Crane Commission Report (1919), League of Nations Mandate for Palestine (1922), et British White Papers
sur la Palestine.
[4] Eugene Rogan, The Arabs: A History, Penguin Books, 2009.
[5] Walid Khalidi, All That Remains: The Palestinian Villages Occupied and Depopulated by Israel in 1948, Institute
for Palestine Studies, 1992.