Israël savait. Et ses alliés aussi.


 

Israël savait. Et ses alliés aussi.

Depuis des mois, Israël accuse la Défense civile de Gaza de mensonge. Les bilans officiels palestiniens seraient « gonflés », « manipulés par le Hamas ». Les chancelleries occidentales, de Washington à Berlin en passant par Paris, ont repris en chœur ce refrain commode pour justifier leur soutien à une guerre d’anéantissement.

Or, une enquête du Guardian vient de lever le voile : les propres données classifiées de l’armée israélienne confirment ce que Gaza crie depuis des mois. En mai 2025, Israël comptabilisait déjà 53 000 morts palestiniens, dont seulement 8 900 combattants — soit 83 % de civils. Cinq morts sur six.

Mais ce n’était qu’un instantané. Depuis, le massacre a continué. Selon les chiffres actualisés du ministère de la Santé de Gaza, au 21 août 2025, plus de 62 000 Palestiniens ont été tués. L’équivalent d’une ville entière rayée de la carte, en grande majorité femmes et enfants.

Israël savait. Mais il a menti. Il a accusé ses victimes de mentir. Et surtout, il a continué.

Mais Israël n’est pas seul. Ses alliés savaient aussi. Comment imaginer que les États-Unis, fournisseur d’armes, d’images satellites et de renseignements en temps réel, n’avaient pas accès à ces chiffres ? Comment croire que la France et l’Allemagne, qui continuent d’exporter des armes à Israël, ignoraient que ces armes contribuaient à tuer principalement des civils ?

Le droit international est limpide :

Les preuves ne viennent pas de Gaza. Elles ne viennent pas d’ONG accusées de partialité. Elles viennent du cœur même de l’appareil militaire israélien. Les alliés occidentaux ne peuvent plus prétendre « ne pas savoir ». Ils savaient. Et ils ont armé. Ils savaient. Et ils ont couvert. Ils savaient. Et ils ont menti avec Israël.

Alors, posons la question qui dérange : combien de temps encore les dirigeants occidentaux croient-ils pouvoir se réfugier derrière la rhétorique de la « légitime défense » pour justifier une guerre qui, de leurs propres yeux, est devenue un massacre de civils ?

L’histoire jugera Israël pour ses crimes. Mais elle jugera aussi ceux qui les ont rendus possibles. Car face à l’évidence, se taire, armer et protéger n’est pas de la neutralité. C’est de la complicité.

Israël savait en mai. Le monde sait en août. À présent, c’est aux tribunaux de dire le droit. Et aux citoyens de rappeler aux dirigeants que leur silence et leurs armes tuent autant que les bombes qu’ils exportent.


Quand le débat israélien oublie l’essentiel : la vie palestinienne


 

Quand le débat israélien oublie l’essentiel : la vie palestinienne

Depuis plusieurs semaines, un débat traverse la société israélienne : le chef d’état-major des forces armées, Eyal Zamir, doit-il obéir aux ordres du gouvernement Netanyahou, ou au contraire les refuser pour préserver la vie des otages et des soldats israéliens ? Certains commentateurs, tel le journaliste Uri Misgav, appellent à la désobéissance face à ce qu’ils qualifient de « folie » gouvernementale. Mais ce débat, aussi vibrant soit-il à l’intérieur d’Israël, repose sur une omission abyssale : l’anéantissement programmé de la population palestinienne de Gaza n’est jamais évoqué comme une raison légitime de désobéir.

1. Un silence sur le droit international

Or, les ordres donnés par le gouvernement israélien ne se résument pas à des « risques militaires » pour ses soldats : ils impliquent directement la violation massive et systématique du droit international humanitaire.

  • Article 33 de la IVe Convention de Genève (1949) : interdit les punitions collectives[1].

  • Article 49 : prohibe les transferts forcés et les expulsions de population[2].

  • Article 53 : interdit la destruction des biens appartenant à des civils[3].

Le plan de « conquête » et de « destruction totale » de Gaza, accompagné de l’expulsion de centaines de milliers d’habitants, correspond à la définition de crimes de guerre et potentiellement de crime contre l’humanité, tels que définis par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (articles 7 et 8)[4].

La Cour internationale de Justice, dans son ordonnance du 26 janvier 2024 relative à l’affaire Afrique du Sud c. Israël, a jugé qu’il existe un risque plausible de génocide à Gaza et a ordonné à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la commission d’actes relevant de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948)[5].

2. L’angle mort d’un débat national centré sur la seule vie israélienne

Malgré ce contexte juridique accablant, le débat public israélien réduit la légitimité de la désobéissance militaire à la seule préservation de vies israéliennes. La mort de milliers de civils palestiniens, la famine imposée par le blocus, les déplacements forcés et la destruction systématique d’une société ne sont pas mentionnés comme des raisons suffisantes pour refuser d’obéir.

Cette asymétrie révèle une vision profondément inégalitaire : la vie israélienne a une valeur, la vie palestinienne n’en a pas. Le sort d’un soldat ou d’un otage mobilise l’opinion ; le sort de centaines de milliers de civils palestiniens est perçu comme un bruit de fond. Cette hiérarchisation des vies humaines n’est pas un simple biais, c’est la manifestation d’un racisme structurel et d’un suprémacisme national.

3. Responsabilité individuelle des militaires

Le droit international ne reconnaît pas l’excuse de l’obéissance aux ordres lorsqu’il s’agit de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

  • L’article 33 du Statut de Rome précise que l’ordre d’un gouvernement ne dégage pas de la responsabilité pénale lorsqu’il est « manifestement illégal »[6].

  • Le Tribunal de Nuremberg avait déjà établi ce principe en 1946 : l’obéissance hiérarchique n’exonère pas d’une responsabilité pénale individuelle en cas de crimes internationaux[7].

Dès lors, l’argument selon lequel « les politiciens décident et l’armée exécute » ne saurait exonérer les généraux israéliens. Leur participation active à l’élaboration et à l’exécution d’un plan de nettoyage ethnique les rend pleinement complices de crimes internationaux.

4. Pour une paix fondée sur l’égalité des vies

Tant que la société israélienne continuera à concevoir la désobéissance uniquement sous l’angle de la protection de ses propres citoyens, en ignorant la destruction d’un peuple voisin, il n’y aura pas de base solide pour la paix. La reconnaissance de l’égalité de valeur entre vies palestiniennes et vies israéliennes est le seul fondement possible d’une réconciliation future.

Le véritable courage d’un chef militaire ne consiste pas à préserver ses soldats tout en exécutant des ordres criminels. Il consiste à refuser de participer à un génocide, conformément aux obligations du droit international. Le jour où ce pas sera franchi, alors seulement le mot « paix » cessera d’être une illusion rhétorique pour devenir une perspective réelle.

Notes

[1] Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, art. 33.
[2] Ibid., art. 49.
[3] Ibid., art. 53.
[4] Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, art. 7 et 8.
[5] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance du 26 janvier 2024, mesures conservatoires.
[6] Statut de Rome, art. 33 § 2 : « L’ordre de commettre un crime de génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal. »
[7] Tribunal militaire international de Nuremberg, Jugement du 1er octobre 1946 : rejet de la défense fondée sur les ordres reçus.