La punition collective en Cisjordanie : étude juridique et politique à partir du cas du déracinement de 3 100 oliviers à al-Mughayyir
Introduction
Le 23 août 2025, l’armée israélienne a procédé au déracinement de 3 100 arbres dans le village palestinien d’al-Mughayyir, situé au nord-est de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Parmi eux figuraient de nombreux oliviers centenaires, représentant à la fois une ressource économique vitale et un symbole identitaire profondément enraciné dans l’histoire palestinienne[^1].
Officiellement, l’armée israélienne a justifié cette opération par une “nécessité sécuritaire immédiate”, invoquant une attaque survenue à proximité de la colonie illégale d’“Adey Ad”, au cours de laquelle un colon avait été légèrement blessé. Cependant, les déclarations du général Avi Blot, commandant de la région centrale, révèlent l’intention réelle : « Chaque village doit savoir que si l’un de ses fils mène une attaque, tout le monde paiera un prix très élevé »[^2]. Cette déclaration constitue un aveu public de punition collective, interdit par le droit international humanitaire.
La présente étude analyse ce cas comme révélateur d’une politique systématique. Après avoir exposé le cadre normatif de l’interdiction des punitions collectives (I), nous examinerons leur mise en œuvre dans le contexte de l’occupation israélienne (II), puis le cas d’al-Mughayyir (III), avant d’analyser l’imbrication entre l’armée et le projet colonial (IV) et d’évaluer la qualification juridique en crimes de guerre (V). Enfin, nous soulignerons les implications politiques et internationales de ces pratiques (VI).
I. Le cadre normatif de l’interdiction des punitions collectives
1. La Quatrième Convention de Genève (1949)
L’article 33 de la Quatrième Convention de Genève stipule :
“Aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu’elle n’a pas personnellement commise. Les peines collectives, de même que toutes mesures d’intimidation ou de terrorisme, sont interdites.”[^3]
L’article 147 qualifie de crimes graves la destruction et l’appropriation de biens civils non justifiées par des nécessités militaires[^4].
2. Le droit international coutumier
La règle 103 de l’étude du CICR sur le DIH coutumier (2005) confirme que l’interdiction des punitions collectives est universelle et obligatoire, applicable dans tous les conflits armés[^5].
3. La jurisprudence internationale
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TPIY : condamnation de représailles contre des civils (Kordić et Čerkez, 2001)[^6].
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TPIR : les punitions collectives sont des crimes de guerre[^7].
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CIJ (2004) : le Mur en Cisjordanie et la confiscation de biens civils sont contraires au droit international[^8].
4. Le Statut de Rome
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Article 8(2)(a)(iv) : crime de guerre la destruction ou appropriation de biens civils sans nécessité militaire[^9].
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Article 8(2)(b)(xiii) : criminalisation des attaques sur des biens indispensables à la survie civile[^10].
II. La punition collective dans le contexte de l’occupation israélienne
1. Cadre juridique de l’occupation
La Cisjordanie est un territoire occupé depuis 1967. La puissance occupante est tenue de respecter le droit humanitaire international (Conventions de La Haye et Genève)[^11].
2. Pratiques israéliennes documentées
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Déracinement agricole : plus de 2,5 millions d’arbres détruits depuis 1967[^12].
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Démolitions punitives de maisons : visant les familles des auteurs présumés d’attaques[^13].
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Blocus et restrictions : affectant des villages entiers, perturbant éducation, santé et travail[^14].
3. Justifications avancées
Les autorités israéliennes invoquent la “sécurité” et la “dissuasion”, arguments insuffisants juridiquement pour justifier la punition collective[^15].
4. Réfutation juridique
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Non proportionnées : affectent des milliers de personnes non impliquées[^16].
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Non nécessaires : ne préviennent pas efficacement les attaques futures[^17].
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Constituent des représailles prohibées par le DIH[^18].
III. Étude de cas : al-Mughayyir
1. Faits et contexte
Le 23 août 2025, l’armée israélienne déracine 3 100 oliviers centenaires à al-Mughayyir, prétendument en réponse à une attaque près de la colonie “Adey Ad”[^19].
2. Analyse des déclarations du général Blot
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Aveu explicite de punition collective.
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Intention d’intimider non seulement al-Mughayyir mais “chaque village” palestinien[^20].
3. Corrélation avec d’autres cas
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Démolitions à Tulkarem, Nour Shams, Bruqin et Funduq dans le cadre de représailles[^21].
4. Impact socio-économique et culturel
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Privation de ressources agricoles vitales[^22].
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Traumatismes sociaux et culturels[^23].
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Menace sur l’identité et la mémoire collective palestinienne[^24].
5. Qualification juridique
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Destruction illégale de biens civils[^25].
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Punition collective[^26].
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Crime de guerre au regard de la Quatrième Convention de Genève et du Statut de Rome[^27].
IV. L’imbrication entre armée et projet colonial
1. Convergence entre Blot et Gantz
Les discours du général Blot et du président du Conseil des colonies Yisrael Gantz révèlent une osmose idéologique entre l’armée et le projet colonial[^28].
2. Relation organique entre armée et colons
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Protection militaire des colonies[^29].
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Coordination constante avec les conseils coloniaux[^30].
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Porosité entre rôles militaires et objectifs coloniaux[^31].
3. Doctrine de “dissuasion par la terre”
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Fragmentation territoriale et pression sur la population palestinienne[^32].
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Instrumentalisation militaire de la colonisation[^33].
4. Érosion de la distinction entre armée et projet colonial
L’armée devient l’outil direct de la colonisation, suivant la logique de “politique d’indistinction” (Eyal Weizman)[^34].
5. Implications juridiques
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Responsabilité étatique : Israël[^35].
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Responsabilité pénale individuelle : officiers et dirigeants coloniaux[^36].
V. Cadre juridique international et qualification en crime de guerre
1. Protection des biens civils
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Articles 53 et 147 de la IVe Convention de Genève[^37].
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Protocole additionnel I (1977), art. 52(1)[^38].
2. Interdiction des punitions collectives
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Article 33 de la IVe Convention de Genève[^39].
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Aveu d’intention punitive par Blot[^40].
3. Statut de Rome
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Article 8(2)(a)(iv) et 8(2)(b)(xiii) : crime de guerre pour destruction massive de biens civils[^41].
4. Jurisprudence
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TPIY, TPIR : condamnation de la destruction de biens civils[^42].
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CIJ, Avis sur le Mur (2004)[^43].
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Rapports du Rapporteur spécial de l’ONU[^44].
5. Responsabilité internationale
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Responsabilité étatique : CIJ[^45].
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Responsabilité pénale individuelle : CPI[^46].
VI. Implications politiques et internationales
1. Impact sur la légitimité internationale
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Dégradation de la crédibilité d’Israël[^47].
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Contradiction entre image de respect du droit et violations documentées[^48].
2. Rôle des ONG
3. Inaction internationale
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Veto et absence de sanctions renforcent l’impunité[^50].
4. Conséquences humanitaires
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Privation économique, désorganisation sociale, crises humanitaires potentielles[^51].
5. Perspectives de réponse
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Juridique : CPI et CIJ[^52].
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Diplomatique et économique : pressions ciblées[^53].
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Sociétale : documentation continue et visibilité médiatique[^54]
Conclusion générale
L’arrachage de 3 100 oliviers à al-Mughayyir illustre la punition collective en Cisjordanie, une pratique interdite par le droit international et qualifiable de crime de guerre. Cette politique combine intimidation militaire, contrôle territorial et destruction de patrimoine agricole. Elle engage la responsabilité d’Israël et des individus impliqués, tout en ayant des conséquences humanitaires et socio-économiques graves.
Reconnaître et documenter ces pratiques, engager des mécanismes judiciaires et exercer une pression politique internationale sont essentiels pour protéger les civils palestiniens et faire respecter le droit humanitaire. Tant que l’impunité persiste, la logique de punition collective continu