Les frontières d’Israël : illusions, armistices et réalités contestées


  Les frontières d’Israël : illusions, armistices et réalités contestées

La question des frontières de l’État d’Israël est centrale dans l’histoire du conflit israélo-palestinien. Elle est également au cœur d’une construction narrative visant à légitimer, a posteriori, des conquêtes territoriales réalisées par la force. Alors que le discours politique et médiatique évoque fréquemment les « frontières de 1967 » comme référence internationale, un examen rigoureux du droit international montre que les seules frontières légalement reconnues pour Israël demeurent celles établies par la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale des Nations unies en 1947, et non les lignes d’armistice de 1949 ni les zones conquises lors de la guerre de 1967.


1. Le plan de partage de 1947 : les frontières légales d’Israël

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la résolution 181 (II), connue comme le plan de partage de la Palestine mandataire. Ce texte recommande la création de deux États indépendants — un État juif et un État arabe — ainsi qu’un régime international spécial pour Jérusalem et Bethléem (corpus separatum).¹

La résolution attribuait environ 55 % du territoire au futur État juif, alors que les Juifs constituaient seulement un tiers de la population totale (environ 600 000 personnes sur 1,9 million).² Mais plus encore, dans les zones attribuées au futur État juif, la composition démographique restait très partagée : environ 498 000 Arabes palestiniens (45 %) contre 499 000 Juifs (55 %).³ Ainsi, malgré l’octroi d’une majorité territoriale à l’État juif, près de la moitié de la population qui devait s’y trouver demeurait arabe palestinienne, sans qu’aucun mécanisme effectif ne soit prévu pour garantir leurs droits collectifs.

Il convient de souligner que la légalité internationale de l’État d’Israël découle directement de cette résolution. En effet, la reconnaissance de l’État par les Nations unies et son admission comme membre de l’Organisation (1949) se fondaient explicitement sur l’acceptation des obligations issues de la résolution 181, notamment quant aux frontières et aux droits des minorités.⁴

👉 En droit strict, Israël ne possède donc pas de frontières « naturelles » ou « bibliques » : les seules frontières reconnues par la communauté internationale sont celles tracées en 1947 par l’ONU.


2. La guerre de 1948 et les accords d’armistice de 1949 : l’ambiguïté de la « Ligne verte »

À la suite de la guerre de 1948, Israël occupe un territoire bien plus vaste que celui prévu par la résolution 181. Entre 1949 et 1950, des accords d’armistice sont signés avec l’Égypte (24 février 1949), le Liban (23 mars 1949), la Jordanie (3 avril 1949) et la Syrie (20 juillet 1949).

Ces accords définissent ce que l’on appelle la « Ligne verte », du nom de l’encre utilisée pour tracer ces délimitations sur les cartes. Toutefois, les textes des accords précisent clairement que ces lignes n’ont aucune valeur de frontières définitives : elles ne sont que des lignes militaires provisoires de cessez-le-feu.⁵

Malgré cela, Israël consolide son contrôle sur environ 78 % du territoire de la Palestine mandataire, dépassant largement la part prévue par la résolution 181. La Cisjordanie est annexée par la Jordanie en 1950, la bande de Gaza administrée par l’Égypte, mais aucun État palestinien n’est créé.

👉 La confusion entre « frontières » et « lignes d’armistice » constitue une stratégie rhétorique : Israël cherche à présenter comme acquises et légitimes des conquêtes militaires qui n’ont jamais été reconnues en droit international.


3. 1967 et après : l’occupation et la cristallisation d’un faux consensus

En juin 1967, lors de la Guerre des Six Jours, Israël occupe la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza, le plateau du Golan et la péninsule du Sinaï. Depuis lors, les « frontières de 1967 » (c’est-à-dire les lignes d’armistice de 1949 avant la guerre) sont devenues la référence dans la diplomatie internationale.

La résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) appelle au retrait israélien « des territoires occupés lors du récent conflit ».⁶ Toutefois, elle ne reconnaît pas les lignes de 1967 comme frontières internationales, mais les prend comme base pour un règlement politique.

En droit, les frontières internationales d’Israël demeurent celles de la résolution 181. Les lignes de 1967 ne sont que des lignes de facto, issues d’un cessez-le-feu et dépourvues de valeur légale.

👉 Le « consensus » autour des frontières de 1967 est donc un compromis politique pragmatique, mais ne reflète pas la légalité internationale.


4. Jérusalem : du corpus separatum à l’annexion illégale

La résolution 181 prévoyait que Jérusalem et Bethléem soient placées sous un régime international spécial, administré par l’ONU. Or, dès 1949, Israël s’empare de Jérusalem-Ouest et proclame la ville capitale en violation de ce statut. En 1967, il occupe Jérusalem-Est et l’annexe en 1980.

Le Conseil de sécurité, par sa résolution 478 (1980), a déclaré cette annexion « nulle et non avenue » et a demandé aux États de ne pas reconnaître cette situation.⁷ De plus, la Cour internationale de justice (CIJ), dans son avis consultatif de 2004, a confirmé l’illégalité de l’occupation et de l’annexion de Jérusalem-Est, ainsi que de la construction du mur de séparation.⁸

👉 Jérusalem demeure donc, en droit international, une ville occupée, dont le statut final doit être déterminé par des négociations et dans le respect de la résolution 181.


Conclusion : frontières légales vs frontières de fait

En résumé, trois niveaux doivent être distingués :

  1. Frontières légales : celles de la résolution 181 (1947), seules reconnues en droit international.

  2. Frontières de fait : les lignes d’armistice de 1949, simples tracés militaires sans valeur légale.

  3. Frontières revendiquées : les territoires conquis en 1967 et annexés depuis, sans aucune reconnaissance internationale.

La confusion volontaire entre ces trois niveaux est au cœur de la propagande israélienne. Or, le droit international reste clair : Israël n’a de légitimité que dans les frontières établies par la résolution 181. Toute expansion territoriale au-delà constitue une occupation ou une annexion illégale.

Il faut enfin rappeler un point souvent occulté : même dans les zones attribuées à l’État juif par le plan de partage, près de la moitié de la population était composée d’Arabes palestiniens.³ Autrement dit, l’État d’Israël a été reconnu sur un territoire où il devait coexister, dès sa naissance, avec une population palestinienne autochtone très importante. La légitimité internationale d’Israël reposait donc non seulement sur le respect des frontières de 1947, mais aussi sur la garantie des droits politiques et civiques de cette population arabe — une garantie qui n’a jamais été assurée et dont la violation est à l’origine même du conflit.


Notes

  1. Assemblée générale des Nations unies, Résolution 181 (II), « Avenir du gouvernement de la Palestine », 29 novembre 1947.

  2. Walid Khalidi, All That Remains: The Palestinian Villages Occupied and Depopulated by Israel in 1948 (Washington D.C.: Institute for Palestine Studies, 1992), xviii.

  3. Sami Hadawi, Palestine: Loss of a Heritage (London: Zed Books, 1986), 43-45 ; voir aussi United Nations Special Committee on Palestine (UNSCOP), Report to the General Assembly, A/364, 3 septembre 1947 (Annexes démographiques).

  4. Assemblée générale des Nations unies, Résolution 273 (III), « Admission d’Israël à l’Organisation des Nations unies », 11 mai 1949.

  5. Texte des Accords d’armistice de 1949, reproduit dans United Nations, The Palestine Question, doc. A/648.

  6. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 242, 22 novembre 1967.

  7. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 478, 20 août 1980.

  8. Cour internationale de justice, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, 9 juillet 2004, § 120-142.


Bibliographie

(classée alphabétiquement, style Chicago)

  • Abi-Saab, Georges. « The Legal Aspects of the Palestine Problem with Special Regard to the Question of Jerusalem. » Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye 37 (1972): 429-468.

  • Benvenisti, Eyal. « The Israeli-Palestinian Declaration of Principles: A Framework for Future Settlement. » European Journal of International Law 4, no. 4 (1993).

  • Dugard, John. « The Advisory Opinion on the Wall: Israel’s Illegal Action and the UN’s Responsibilities. » Leiden Journal of International Law 18 (2005): 871-897.

  • Falk, Richard. « International Law and the Al-Aqsa Intifada. » American Journal of International Law 95, no. 2 (2001).

  • Hadawi, Sami. Palestine: Loss of a Heritage. London: Zed Books, 1986.

  • Khalidi, Walid. All That Remains: The Palestinian Villages Occupied and Depopulated by Israel in 1948. Washington D.C.: Institute for Palestine Studies, 1992.

  • Kattan, Victor. « The Use and Abuse of Self-Determination in International Law: The Case of Palestine. » European Journal of International Law 24, no. 2 (2013): 301-328.

  • Lustick, Ian. « Israel and the West Bank After 1967: A Study in State Expansion. » Middle East Journal 32, no. 4 (1978): 489-504.

  • Morris, Benny. The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited. Cambridge: Cambridge University Press, 2004.

  • Pappé, Ilan. The Ethnic Cleansing of Palestine. London: Oneworld Publications, 2006.

  • Quigley, John. The Case for Palestine: An International Law Perspective. Durham: Duke University Press, 2005.

  • Said, Edward. The Question of Palestine. New York: Vintage Books, 1992 [1ʳᵉ éd. 1979].

  • Shlaim, Avi. The Iron Wall: Israel and the Arab World. New York: W.W. Norton, 2000.

La Palestine et le mythe du « droit historique » israélien : étude complète et référencée


 

La Palestine et le mythe du « droit historique » israélien : étude complète et référencée

Introduction

L’argument israélien selon lequel les Juifs contemporains auraient un « droit historique » sur la Palestine repose sur la prétendue continuité entre les anciens royaumes israélites et les populations juives modernes. Une analyse rigoureuse démontre que cet argument est historiquement, sociologiquement et juridiquement infondé :

  1. La Palestine a été occupée de manière continue par une diversité de peuples depuis la préhistoire.

  2. Les anciens Juifs ont été en grande partie intégrés dans la population locale ou dispersés, à l’exception de communautés isolées comme les Samaritains.

  3. Les Juifs contemporains revendiquant la Palestine n’ont pas de lien direct démontré avec les Juifs antiques.

  4. Le droit international moderne ne reconnaît aucun fondement juridique à des revendications basées sur des textes religieux ou des présences anciennes.


I. Chronologie des occupations et populations de la Palestine

1. Préhistoire et âge du bronze (IXe – IIe millénaire av. J.-C.)

  • Sites archéologiques majeurs : Tell es-Sultan (Jéricho), Jérusalem primitive, Bethléem.

  • Population : Cananéens et autres peuples sémitiques.

  • Culture : Villages agricoles, premières cités-états, fortifications.

Références :

  • Finkelstein, I. & Silberman, N.A., The Bible Unearthed, 2001.

  • Mazar, A., Archaeology of the Land of the Bible, 2012.

2. Âge du fer et royaumes israélite et judéen (Xe – VIe siècle av. J.-C.)

  • Israël et Juda : Royaumes limités aux zones montagneuses, jamais les villes côtières comme Jaffa, Gaza ou Césarée.

  • Population : Coexistence avec Cananéens et Philistins.

  • Conclusion : La présence hébraïque était géographiquement restreinte et n’effaçait pas les autres populations.

Références :

  • Dever, W., Who Were the Early Israelites?, 2003.

  • Stager, L.E., Ancient Israel, 2011.

3. Conquêtes et dispersion (VIe siècle av. J.-C. – VIIe siècle ap. J.-C.)

  • Babyloniens (586 av. J.-C.) : Exil des élites juives et destruction du Premier Temple.

  • Perses : Retour partiel, coexistence avec populations locales.

  • Grecs et Romains : Hellenisation, révoltes juives, destruction du Second Temple (70 ap. J.-C.).

  • Intégration : Juifs restants intégrés dans la population locale ou dispersés.

Références :

  • Levine, L.I., Jerusalem: Portrait of the City in the Second Temple Period, 2002.

  • Safrai, S., The Jewish People in the First Century, 1974.

4. Byzantins et Arabes (IVe – VIIIe siècles)

  • Byzantins : Christianisation des villes, coexistence des communautés juives.

  • Conquête arabe (VIIe siècle) : Introduction de l’islam et de l’arabe, intégration des Juifs survivants à la population locale.

Références :

  • Gil, M., A History of Palestine, 634–1099, 1997.

  • Peters, F.E., Jerusalem: The Holy City in the Eyes of Chroniclers, 1994.

5. Croisades, Mamelouks et Ottomans (XIe – XIXe siècles)

  • Maintien d’une population arabe majoritaire continue.

  • Communautés juives isolées : Samaritains, Juifs de Jérusalem, Safed et Hébron.

  • La Palestine reste une région identifiable avec ses villes et villages, administrée par les Ottomans à partir de 1517.

Références :

  • Khalidi, R., Palestinian Identity, 1997.

  • Ben-Arieh, Y., The History of Jerusalem, 1993.


II. Formation du peuple palestinien

  • Synthèse historique : Cananéens + Philistins + Juifs antiques + Romains + Byzantins + Arabes + Ottomans.

  • Continuité culturelle et linguistique : les Palestiniens modernes sont les héritiers de cette mosaïque.

  • Intégration des Juifs anciens : absorption par la population locale, avec quelques communautés minoritaires survivantes (Samaritains).

Références :

  • Sykes, M., The Peoples of the Middle East, 1928.

  • Rogan, E., The Arabs: A History, 2010.


III. Les Juifs contemporains et l’absence de lien direct avec les Juifs antiques

  • Les migrants juifs du XIXe et XXe siècles (sionistes) proviennent d’Europe et d’Asie.

  • Aucune preuve généalogique ou historique ne relie ces populations aux Juifs de l’Antiquité palestinienne.

  • Le récit d’un « droit ancestral » est donc une construction idéologique.

Références :

  • Sand, S., The Invention of the Jewish People, 2009.

  • Pappé, I., The Ethnic Cleansing of Palestine, 2006.


IV. Archéologie et construction du récit sioniste

  • Certaines fouilles et interprétations archéologiques en Israël ont été utilisées pour légitimer le projet sioniste, en minimisant les vestiges non juifs.

  • Exemples : sites palestiniens détruits ou négligés (Sebastia, Jérusalem, Jaffa).

Références :

  • CRFJ, Transforming the Holy Land into a Jewish Homeland, 2015.

  • Meskell, L., Archaeology Under Fire, 2002.


V. Le droit international et l’invalidité des « droits historiques » religieux

  • Le droit moderne repose sur : souveraineté, autodétermination, reconnaissance internationale (Charte des Nations Unies, articles 1 et 55).

  • Les textes religieux ou présences anciennes ne constituent pas un fondement juridique valide.

  • Conséquence logique : si chaque « présence ancienne » conférait un droit territorial, le monde entier serait en conflit permanent.

  • Application à la Palestine : droit des Palestiniens reconnu par l’ONU, indépendamment de la présence des Juifs antiques.

Références :

  • Charte des Nations Unies, Articles 1 et 55.

  • ICJ, Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory, 2004.

  • Lauterpacht, H., The Function of Law in the International Community, 1933.


VI. Conclusion

  1. La Palestine a été habitée en continu par des populations diverses depuis la préhistoire.

  2. Les Juifs antiques ont été partiellement intégrés aux populations locales, formant le peuple palestinien, avec seulement quelques communautés isolées (Samaritains).

  3. Les Juifs contemporains revendiquant la Palestine n’ont aucun lien direct avec les Juifs antiques.

  4. Les revendications basées sur des textes religieux ou un « droit ancestral » sont historiquement et juridiquement infondées.

  5. Le droit international reconnaît les droits des peuples vivants et la continuité de leur présence sur la terre, garantissant ainsi la légitimité de la souveraineté palestinienne.