La déshumanisation comme prélude au crime : le cas palestinien au prisme de l’histoire contemporaine

 


La déshumanisation comme prélude au crime : le cas palestinien au prisme de l’histoire contemporaine



Résumé



Cet article analyse l’usage de la déshumanisation dans le discours politique israélien et américain visant les Palestiniens, et le met en perspective avec les précédents historiques (Allemagne nazie, Rwanda, colonialisme). Il montre comment la rhétorique animalisante constitue un instrument de légitimation du génocide en cours à Gaza, en lien avec les travaux de Raphael Lemkin, Hannah Arendt et les jurisprudences internationales (TPIY, TPIR, CPI).



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1. Introduction : le langage qui tue



La déshumanisation n’est pas un accident rhétorique, mais une technique de pouvoir. Comme l’a souligné Raphael Lemkin, inventeur du terme génocide, le processus de destruction d’un peuple s’accompagne toujours d’une entreprise discursive visant à l’ôter du cercle de l’humain[^1].



En qualifiant un peuple d’« animaux », de « parasites » ou de « cafards », on prépare le terrain à l’acceptation sociale du massacre. Le langage n’est pas périphérique : il est le premier acte du crime.



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2. Déshumanisation et génocides du XXe siècle



2.1. L’Allemagne nazie



La propagande nazie, relayée par Joseph Goebbels, décrivait les Juifs comme des « bacilles » et des « rats ». Dans Mein Kampf, Adolf Hitler comparait les Juifs à de la « vermine » à éradiquer[^2]. Cette rhétorique fut essentielle à la préparation idéologique de la Solution finale.



2.2. Le Rwanda (1994)



La Radio des Mille Collines (RTLM) appelait les Tutsis « inyenzi » (cafards), exhortant les Hutus à les « écraser »[^3]. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a jugé en 1998 (affaire Akayesu) que ce langage constituait une incitation directe et publique au génocide[^4].



2.3. Le colonialisme et l’apartheid



Le discours colonial recourait à une hiérarchisation raciale. Jules Ferry déclarait en 1885 : « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures »[^5]. En Afrique du Sud, les Noirs étaient décrits comme « primitifs », justifiant leur exclusion politique et sociale. Dans chaque cas, le langage animalisant a soutenu des régimes de violence structurelle.



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3. La rhétorique contemporaine contre les Palestiniens



3.1. Déclarations israéliennes



Yoav Gallant, ministre de la Défense (octobre 2023) : « Nous combattons des animaux humains »[^6].



Eli Ben-Dahan, vice-ministre (2013) : « À mes yeux, ils sont comme des animaux, ils ne sont pas humains »[^7].



Dan Gillerman, ex-ambassadeur à l’ONU (2023) : « Ce sont des animaux inhumains »[^8].



Almog Cohen, député (2023) : « Ils ne méritent même pas d’être des moutons »[^9].



3.2. Discours américains



Marco Rubio, sénateur républicain (2025) : « Ces animaux, ces animaux barbares » en parlant des Palestiniens[^10].



D’autres élus américains ont utilisé des termes assimilant la résistance palestinienne à des « barbares » ou à des « terroristes inhumains », reprenant la rhétorique israélienne.




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4. Gaza : la déshumanisation en acte



4.1. La famine comme arme de guerre



En mars 2024, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’ONU alertaient sur une famine imminente à Gaza, conséquence directe du blocus[^11]. La privation délibérée de nourriture est prohibée par l’article 54 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève (1977). Pourtant, la déshumanisation facilite son acceptation politique.



4.2. Les bombardements massifs



Les frappes contre écoles, hôpitaux, camps de réfugiés sont justifiées par l’idée que les Palestiniens ne sont pas des civils « ordinaires », mais des « nids terroristes ». Cette logique rappelle le raisonnement nazi ou colonial : l’ennemi est collectif et biologique, non individuel.



4.3. La banalisation du massacre



Le vocabulaire bureaucratique (« dommages collatéraux », « frappes nécessaires ») transforme les morts en chiffres. Comme le note Hannah Arendt à propos de la Shoah, le mal extrême peut se manifester sous une forme administrative et banalisée[^12].



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5. Parallèles avec les criminels de guerre



Nazi Allemagne : les Juifs étaient des « parasites » → Solution finale.



Rwanda : les Tutsis étaient des « cafards » → génocide de 1994.



Algérie coloniale : les indigènes étaient des « sauvages » → massacres et répression massive.



Israël et alliés : les Palestiniens sont des « animaux » → Gaza, 2023-2025 : famine, bombardements massifs, blocus total.



Dans chaque cas, les mots ont précédé le crime. Les tribunaux internationaux (Nuremberg, TPIR, TPIY) ont établi que le langage déshumanisant peut constituer une incitation au génocide ou un crime contre l’humanité.



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6. Conclusion : un langage criminel



Qualifier les Palestiniens de « cafards », de « rats » ou d’« animaux » n’est pas un simple excès verbal. C’est un acte de guerre, une étape dans le processus génocidaire. À Gaza, ce langage est déjà devenu politique d’État.



L’histoire nous enseigne que ce type de discours ne reste jamais sans conséquences. Hier, à Nuremberg et à Arusha, les criminels qui parlaient ainsi furent jugés. Aujourd’hui, les mots des dirigeants israéliens et de leurs alliés américains devront, tôt ou tard, être confrontés à la même justice.



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Références



[^1]: R. Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe, 1944.

[^2]: A. Hitler, Mein Kampf, 1925.

[^3]: J. Des Forges, Leave None to Tell the Story: Genocide in Rwanda, Human Rights Watch, 1999.

[^4]: TPIR, Procureur c. Akayesu, jugement du 2 septembre 1998.

[^5]: Discours de Jules Ferry, Chambre des députés, 28 juillet 1885.

[^6]: Déclaration de Yoav Gallant, 9 octobre 2023, citée par Middle East Eye.

[^7]: Haaretz, 2013, propos d’Eli Ben-Dahan.

[^8]: Déclaration de Dan Gillerman, Sky News, octobre 2023.

[^9]: Déclaration d’Almog Cohen à la Knesset, 2023.

[^10]: Marco Rubio, propos cités par World Socialist Web Site, septembre 2025.

[^11]: Rapport du PAM, mars 2024.

[^12]: H. Arendt, Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, 1963.