Le droit à l’autodétermination palestinien à l’épreuve des conditions internationales
Introduction
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes constitue un principe cardinal du droit international contemporain. Inscrit dans la Charte des Nations unies (1945)[1] et consolidé par les grandes résolutions de l’Assemblée générale sur la décolonisation (notamment la résolution 1514 en 1960)[2], il a guidé la transition de nombreux peuples vers l’indépendance après 1945. Pourtant, lorsqu’il s’agit de la Palestine, ce principe semble appliqué de manière sélective et conditionnelle.
En effet, plusieurs acteurs internationaux soutiennent l’idée d’un État palestinien, mais posent comme préalable l’exclusion de certaines organisations issues de la lutte nationale, telles que le Fatah, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), le Hamas ou le Jihad islamique. Une telle approche soulève une question centrale : peut-on réellement imposer à un peuple colonisé et sous occupation d’exclure ses propres forces de lutte de la future vie politique, sans trahir le principe même de l’autodétermination ?
Cette contribution propose d’examiner cette contradiction à travers une analyse historique et juridique. Elle montrera, d’une part, que jamais un processus d’indépendance n’a exigé l’exclusion des forces issues de la lutte de libération (I), et, d’autre part, que le droit international garantit au peuple palestinien le droit de déterminer librement sa représentation politique (II). Enfin, elle soulignera que conditionner l’indépendance palestinienne revient à fragiliser la paix et à reproduire les stratégies dilatoires déjà utilisées par Israël (III).
I. Les indépendances nationales et la légitimité des forces de libération
L’histoire comparée des indépendances illustre que les mouvements armés de libération, souvent criminalisés par les puissances coloniales ou occupantes, ont toujours été intégrés aux États naissants.
En 1948, des groupes comme l’Irgoun ou le Lehi, qualifiés de terroristes par les autorités britanniques[3], ont été absorbés dans les institutions militaires et politiques du nouvel État d’Israël. En Afrique du Sud, l’ANC, longtemps interdit et qualifié de terroriste par le régime de l’apartheid et ses alliés occidentaux, a pourtant constitué l’ossature de l’État post-apartheid[4]. En Algérie, le FLN a dirigé sans partage le pays après l’indépendance[5]. En France, la Résistance — pourtant divisée, clandestine et parfois violemment réprimée — a participé à la reconstruction politique de 1944-1946[6].
Ces exemples démontrent que l’exclusion de forces issues de la lutte nationale serait non seulement exceptionnelle, mais aussi contraire à la logique historique des indépendances. Exiger des Palestiniens ce qu’aucun autre peuple n’a subi équivaut à instaurer un régime de dérogation spécifique, traduisant une inégalité structurelle dans le droit des peuples à l’autodétermination.
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II. Le droit international et la pluralité politique palestinienne
Le principe d’autodétermination, énoncé à l’article 1(2) de la Charte des Nations unies[1], a été précisé par la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, qui proclame le droit inaliénable des peuples colonisés à l’indépendance[2]. La résolution 2625 (XXV) (1970) a ensuite codifié l’interdiction de toute ingérence visant à imposer un système politique à un peuple[7].
La Cour internationale de justice (CIJ) a, dans plusieurs avis consultatifs (Namibie, 1971[8] ; Sahara occidental, 1975[9]), reconnu la légitimité des luttes de libération contre la domination coloniale et l’occupation étrangère. En conséquence, la délégitimation systématique de certaines forces palestiniennes entre en tension directe avec cette jurisprudence.
Par ailleurs, l’expérience historique de la société palestinienne atteste de traditions politiques pluralistes. Sous administration jordanienne (1948-1967), les élections municipales et syndicales en Cisjordanie voyaient s’affronter courants laïques et islamistes dans un cadre institutionnel limité, mais réel[10]. Cela démontre la capacité du peuple palestinien à arbitrer démocratiquement ses choix, sans qu’une exclusion imposée de l’extérieur ne soit nécessaire.
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III. Les risques d’une conditionnalité sélective : paix illusoire et stratégie dilatoire
L’exclusion de forces politiques palestiniennes risque de nourrir des tensions internes et de fragiliser les perspectives de paix. Au lieu de renforcer les courants progressistes et démocratiques palestiniens, elle pourrait créer un sentiment d’injustice et pousser à la radicalisation.
En outre, une telle approche rejoint la logique israélienne de remise en cause du droit international. L’exemple le plus frappant demeure la controverse autour de la résolution 242 du Conseil de sécurité (1967). Israël a exploité l’ambiguïté du texte anglais — « withdrawal from territories occupied » (sans article défini) — pour en réduire la portée, transformant une obligation de retrait intégral en une simple négociation sur des « territoires disputés »[11]. Conditionner aujourd’hui l’indépendance palestinienne à l’exclusion de certaines forces politiques offrirait à Israël un nouvel argument dilatoire, lui permettant de se présenter comme le garant d’une « démocratie sélective » en Palestine, tout en bloquant toute évolution vers l’indépendance.
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Conclusion
Poser la question de l’autodétermination palestinienne en termes de conditionnalité politique revient à trahir le principe même sur lequel repose le droit international postcolonial. Aucun peuple n’a jamais été sommé d’exclure ses propres forces de lutte de la construction de son État ; exiger cela des Palestiniens revient à instituer un précédent discriminatoire.
Loin de renforcer la démocratie, cette approche risque de fragiliser les dynamiques internes palestiniennes, de préparer les conflits de demain et de légitimer les stratégies israéliennes de blocage.
À l’heure où le peuple palestinien subit des violences massives et des violations répétées de ses droits fondamentaux, il peut sembler secondaire de poser ces questions. Pourtant, elles sont essentielles. Car une paix fondée sur l’exclusion, la sélectivité et la négation du droit universel à l’autodétermination ne saurait être qu’une paix illusoire, vouée à l’échec.
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Références
[1] Charte des Nations unies, San Francisco, 26 juin 1945.
[2] Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU, « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », 14 décembre 1960.
[3] Benny Morris, 1948: A History of the First Arab-Israeli War, Yale University Press, 2008.
[4] Nelson Mandela, Long Walk to Freedom, Abacus, 1994.
[5] Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte, 1993.
[6] François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006.
[7] Résolution 2625 (XXV), « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États », 24 octobre 1970.
[8] CIJ, Avis consultatif sur la Namibie, 21 juin 1971.
[9] CIJ, Avis consultatif sur le Sahara occidental, 16 octobre 1975.
[10] Joost Hiltermann, Behind the Intifada: Labor and Women’s Movements in the Occupied Territories, Princeton University Press, 1991.
[11] John Quigley, The Case for Palestine: An International Law Perspective, Duke University Press, 2005.
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