1.Liberté de la presse en Israël : entre censure, manipulation et répression
Israël se présente volontiers comme la seule démocratie du Moyen-Orient. Pourtant, derrière cette image, la réalité
du traitement de la presse est tout autre. Dans un pays en guerre permanente avec ses voisins et en conflit prolongé
avec les Palestiniens, l’information est devenue une arme, et la liberté de la presse une illusion soigneusement
entretenue.
La censure militaire : un dispositif institutionnalisé
En Israël, toute publication sur les questions de sécurité nationale est soumise à un contrôle préalable par le
Censeur militaire, une institution directement rattachée à l’armée. Les journalistes israéliens doivent transmettre
leurs articles à ce bureau pour validation avant publication, sous peine de poursuites pénales. Les sujets interdits
sont nombreux : opérations militaires, activités du renseignement, identités de soldats impliqués, mais aussi
parfois des faits gênants pour l’image de l’armée ou de l’État.
Selon l’ONG Freedom House, cette censure institutionnelle est "l’un des dispositifs les plus développés dans une
démocratie autoproclamée". En 2017, le Haaretz rapportait que plus de 2700 articles avaient été censurés ou
modifiés par l’armée en une seule année.
Une vérité tronquée pour l’opinion israélienne
Ce système de censure contribue à produire une représentation tronquée de la réalité du conflit. Les frappes à Gaza
sont décrites comme "chirurgicales", les victimes palestiniennes souvent invisibilisées. Cette distorsion est
renforcée par un biais structurel des grands médias israéliens, majoritairement alignés sur la ligne sécuritaire de
l’État. Les chaînes comme Channel 12 ou Kan adoptent un ton uniformément nationaliste, surtout en temps de
guerre.
L’autocensure idéologique : le sionisme comme filtre de vérité
À cette censure institutionnelle s’ajoute une autocensure idéologique. De nombreux journalistes israéliens
partagent une adhésion fondamentale au récit sioniste : la légitimité de l’État, la centralité de la sécurité,
la méfiance envers la parole palestinienne. Dans ce contexte, le mensonge devient parfois un outil légitime au
service de la 'hasbara', la diplomatie publique israélienne. Comme l’a résumé Gideon Levy : « Dans les rédactions
israéliennes, mentir pour Israël n’est pas seulement accepté, c’est attendu. »
La presse étrangère sous pression
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les journalistes étrangers ne sont pas à l’abri du contrôle militaire.
Eux aussi doivent se conformer aux exigences du Censeur s’ils souhaitent travailler en Israël ou dans les
territoires occupés. Ils subissent pressions diplomatiques, restrictions d’accès, surveillance, voire retraits
d’accréditation. En cas de déviation du récit officiel, ils sont accusés de partialité ou d’antisémitisme.
Ce climat n’est pas nouveau. Le 21 octobre 2000, Bertrand Aguirre, journaliste français de TF1, a été grièvement
blessé par un sniper israélien à Ramallah, alors qu’il couvrait les manifestations de la Seconde Intifada. Il portait
une caméra, était clairement identifié comme journaliste, et ne représentait aucune menace. Aucune enquête
sérieuse n’a suivi, confirmant une impunité persistante.
Journalistes arabes : entre suspicion et criminalisation
Les journalistes palestiniens ou arabes israéliens sont encore plus durement traités. Ils sont soumis à une
surveillance permanente, arrêtés arbitrairement, ou directement ciblés. Plusieurs journalistes palestiniens ont été
tués depuis 2023 à Gaza, identifiés malgré des marquages "Press". Le cas de Shireen Abu Akleh, journaliste
d’Al Jazeera tuée d’une balle dans la tête en 2022 par un tir israélien à Jénine, est emblématique. Malgré les
preuves, aucune poursuite n’a été engagée.
La fermeture d’Al Jazeera : l’ultime signal de dérive
En mai 2024, Israël a interdit Al Jazeera, accusée de menacer la sécurité nationale. Les bureaux ont été fermés,
les équipements saisis, et les transmissions coupées. Cette décision, condamnée par l’ONU et RSF, confirme une
volonté d’étouffer les contre-voix et de contrôler l’image du conflit. Al Jazeera était l’un des rares médias
montrant régulièrement les conséquences des bombardements sur les civils de Gaza.
Conclusion : une démocratie sans liberté de l'information
La liberté de la presse en Israël fonctionne à géométrie variable : tolérée quand elle conforte le récit national,
muselée dès qu’elle le conteste. Censure militaire, autocensure idéologique, pressions sur les correspondants
étrangers, et répression des journalistes arabes forment un système cohérent. Dans ce contexte, la vérité devient
une variable d’ajustement, et l’information, un champ de bataille.