Israël veut-il vraiment sauver ses otages à Gaza ? Quand la doctrine Hannibal l’emporte sur le droit international

 


Israël veut-il vraiment sauver ses otages à Gaza ? Quand la doctrine Hannibal l’emporte sur le droit international


Alors que l’armée israélienne poursuit son offensive contre les dernières zones encore non occupées de la bande de Gaza, une question brûlante demeure sans réponse : Israël cherche-t-il réellement à sauver ses otages, ou assiste-t-on à la mise en œuvre cynique d’une doctrine militaire qui privilégie leur mort à leur libération ?

Depuis le 7 octobre 2023, le Hamas détient plusieurs soldats israéliens, capturés au cours de son offensive transfrontalière. Loin de les exécuter, le Hamas les conserve comme prisonniers dans l’espoir d’un échange avec des milliers de détenus palestiniens enfermés dans les prisons israéliennes, dont certains depuis plus de 30 ans, souvent sans procès équitable ni accès à une défense effective. Cette stratégie s’inscrit dans une tradition bien connue de négociations indirectes, comme en 2011, lorsque le soldat Gilad Shalit fut échangé contre 1 027 prisonniers palestiniens.

Fait révélateur : jusqu’à aujourd’hui, les prisonniers israéliens tués à Gaza l’ont été par les bombardements de l’armée israélienne elle-même, et non par le Hamas. En prétendant les « sauver », Israël contribue directement à leur élimination, renforçant l’hypothèse d’un usage délibéré de la doctrine Hannibal.

Une doctrine militaire contraire au droit international

Face à cette logique d’échange, Israël oppose une doctrine brutale, rarement évoquée publiquement mais bien réelle : la doctrine Hannibal, mise en place dans les années 1980. Elle autorise – voire ordonne – l’usage de la force maximale, y compris létale, pour empêcher la capture d’un soldat par l’ennemi, même si cela implique sa mort. Plusieurs documents militaires et témoignages de soldats israéliens confirment son existence et son application lors de conflits précédents, notamment au Liban et à Gaza.

Cette doctrine viole de manière flagrante les articles 12 et 13 de la Troisième Convention de Genève (1949), qui exigent la protection des prisonniers de guerre et interdisent de les cibler délibérément. En outre, l’article 3 commun aux Conventions de Genève, applicable aux conflits armés non internationaux, proscrit « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle » des personnes qui ne participent plus aux hostilités, ce qui inclut les soldats capturés.

En prétendant sauver ses otages tout en bombardant sans relâche les zones où ils sont supposément détenus – comme les tunnels de Rafah ou Khan Younès – Israël pourrait être tenu pour responsable de meurtres extrajudiciaires, relevant du droit international pénal (article 8-2-c-i du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).

Le refus de la négociation : une politique délibérée

Les autorités israéliennes n’ont jamais caché leur hostilité à tout accord global d’échange avec le Hamas. Pourtant, ce dernier a à plusieurs reprises proposé une trêve conditionnée à la libération de prisonniers de part et d’autre. Ces offres ont été rejetées, non pas pour leur inadéquation stratégique, mais par refus idéologique de reconnaître au Hamas une quelconque légitimité politique ou capacité de négociation. En d'autres termes : mieux vaut voir mourir les otages israéliens que de libérer des prisonniers palestiniens.

Ce refus obstiné d’envisager une issue diplomatique met également Israël en violation de l’article 33 de la Quatrième Convention de Genève, qui interdit les punitions collectives. Car en sacrifiant délibérément ses propres soldats, l’armée israélienne poursuit avant tout un objectif de vengeance et de domination, au prix de la vie des prisonniers, civils ou militaires – des deux camps.

L'effacement du droit derrière la logique militaire

Depuis octobre 2023, la politique israélienne dans la bande de Gaza semble guidée non par le droit, mais par une logique de destruction totale. Or, dans le droit international humanitaire, la protection des personnes capturées, comme celle des civils, n’est pas conditionnelle : elle s’applique à toutes les parties, quel que soit leur statut.

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, ainsi que plusieurs rapporteurs spéciaux, ont déjà alerté sur les risques de crimes de guerre liés aux bombardements indiscriminés, au siège humanitaire et à l’usage disproportionné de la force. La doctrine Hannibal, si elle est bien mise en œuvre aujourd’hui, pourrait constituer un crime de guerre distinct, ciblant délibérément des personnes hors de combat (hors de combat).

Un objectif stratégique plus large : soumettre Gaza et redessiner le Moyen-Orient

Il apparaît de plus en plus clairement que la priorité d’Israël n’est pas la libération de ses prisonniers, mais la réalisation d’un objectif stratégique beaucoup plus vaste : l’occupation complète de la bande de Gaza et l’écrasement définitif de toute forme de résistance palestinienne. Dans cette logique, la doctrine Hannibal n’est pas une anomalie : elle devient un outil parmi d’autres dans un projet colonial assumé, où l’élimination des otages israéliens est un dommage collatéral accepté au nom d’une suprématie régionale.

Après avoir porté des coups sévères au Hezbollah au Liban, détruit les capacités de l’armée syrienne et tenté de freiner le programme nucléaire iranien, Israël cherche aujourd’hui à imposer un fait accompli en Palestine. La domination totale de Gaza devient une condition nécessaire pour achever ce que le Premier ministre Benyamin Netanyahou nomme lui-même le « redessine du Moyen-Orient ». Loin de toute logique humanitaire, la guerre actuelle s’inscrit dans une stratégie régionale de longue haleine, visant à faire d’Israël l’acteur hégémonique incontesté du Levant.

Dans cette perspective, la liquidation des prisonniers israéliens, tout comme le refus obstiné de négocier avec le Hamas, répond à une logique implacable : celle de la colonisation et de la soumission. Il ne s’agit plus de « sauver des vies », mais de briser les volontés, d’effacer les revendications nationales palestiniennes, et d’anéantir toute possibilité de résistance, en commençant par Gaza.

Conclusion : un État qui tue ses propres soldats pour ne pas libérer des prisonniers palestiniens

L’occupation totale de Gaza, présentée comme une opération de « libération des otages », s’apparente en réalité à une politique de liquidation. Liquidation des prisonniers israéliens que l’on refuse d’échanger. Liquidation des milliers de détenus palestiniens que l’on refuse de libérer. Et liquidation de tout espoir de paix, par l’écrasement d’une population entière pour affirmer la toute-puissance militaire d’un État au mépris du droit.

Dans cette guerre, le droit humanitaire international est pris en otage autant que les soldats. Et ce sont les doctrines les plus cyniques, comme celle d’Hannibal, qui semblent aujourd’hui dicter la conduite d’un État membre de l’ONU. Il est plus que temps que la communauté internationale regarde cette réalité en face.

Références juridiques et historiques :

  • Convention de Genève III (1949), articles 12 et 13.

  • Article 3 commun aux Conventions de Genève.

  • Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 8-2-c-i.

  • Rapport Goldstone (2009) et rapport de la Commission d'enquête sur Gaza (2024).

  • Déclarations d’anciens officiers israéliens sur la doctrine Hannibal (notamment concernant le cas Hadar Goldin, 2014).

  • Article 33 de la Convention de Genève IV : interdiction des punitions collectives.


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