Big Tech et Gaza : la complicité silencieuse de Microsoft, Oracle, Google, IBM et Hewlett Packard Enterprise



Big Tech et Gaza : la complicité silencieuse de Microsoft, Oracle, Google, IBM et Hewlett Packard Enterprise




Depuis octobre 2023, la bande de Gaza subit un siège et une campagne de bombardements qui, selon la Rapporteure spéciale des Nations unies, constituent un génocide1. Si la communauté internationale condamne à demi-mot les destructions et la famine, elle passe sous silence le rôle clé joué par certaines entreprises technologiques américaines. Microsoft, Oracle, Google, IBM et Hewlett Packard Enterprise (HPE) ne sont pas de simples fournisseurs neutres : leurs infrastructures cloud, leurs systèmes informatiques et leurs solutions d’intelligence artificielle alimentent directement ou indirectement l’appareil militaire et de surveillance israélien.



1. Microsoft : Azure et le stockage massif de données d’interception

En août 2025, The Guardian a révélé que l’unité de renseignement israélienne 8200 stockait sur Microsoft Azure des millions d’appels interceptés de Palestiniens2. Ces données servaient au ciblage algorithmique de frappes dans la bande de Gaza. Hébergées dans un datacenter européen, elles posent des questions de conformité avec le droit international humanitaire et le RGPD3.
Microsoft affirme ne pas « sciemment » soutenir la surveillance illégale4, mais la nature même de ce stockage — dans un contexte de violations massives — correspond à un apport matériel substantiel aux opérations militaires, engageant la responsabilité selon les standards internationaux5.



2. Oracle : centres de données souverains et projets militaires

Oracle exploite en Israël deux centres de R&D et une région cloud souveraine incluant un centre de données souterrain à Jérusalem6. Des témoignages internes rapportés par The Intercept évoquent la participation d’Oracle à Project Menta, un programme de quatre ans mené avec l’armée de l’air israélienne7.
Les liens personnels de Safra Catz et Larry Ellison avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu renforcent l’impression d’un alignement stratégique entre l’entreprise et le gouvernement israélien8, offrant à ce dernier une infrastructure numérique résiliente dans un contexte de guerre.



3. Google : Project Nimbus et l’IA de surveillance

En 2021, Google et Amazon ont signé Project Nimbus (1,2 milliard $), fournissant des capacités cloud et d’IA au gouvernement et à l’armée israéliens9. Des documents internes révèlent des fonctionnalités de reconnaissance faciale, d’analyse vidéo en temps réel et de traitement massif de données10.
Malgré les protestations internes (campagne No Tech for Apartheid) et des démissions d’ingénieurs11, Google maintient le projet, alors même que l’armée israélienne utilise des IA telles que « Lavender » et « Where’s Daddy? » pour générer des listes de cibles humaines12.



4. IBM : gestion biométrique et contrôle démographique

IBM est citée par des ONG comme Access Now et par un rapport onusien pour sa participation à la gestion de bases de données biométriques utilisées par l’Autorité de la population et de l’immigration israélienne (PIBA)13. Ce système, incluant empreintes digitales et données faciales, est central dans le contrôle des déplacements des Palestiniens aux checkpoints et dans la bande de Gaza.
Dans un contexte de siège, ces technologies facilitent le contrôle coercitif de populations civiles, un élément constitutif de crimes contre l’humanité lorsque combiné à des privations massives de droits.



5. Hewlett Packard Enterprise (HPE) : infrastructure critique aux checkpoints

HPE fournit depuis plusieurs années des serveurs, systèmes de stockage et logiciels pour les bases de données de l’armée israélienne et le système de contrôle aux checkpoints14. Ces équipements soutiennent le fonctionnement du système « BASEL » de reconnaissance biométrique aux points de passage en Cisjordanie et à Gaza.
Malgré les alertes d’ONG comme Who Profits et Amnesty International15, HPE continue ses contrats, arguant d’un usage légal de ses produits.



6. Responsabilité juridique et morale

Selon l’article 16 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État et l’article 25 du Statut de Rome, fournir sciemment une assistance substantielle à un crime international engage la responsabilité de l’auteur16.
Dans ces cinq cas :

  1. Connaissance prévisible du risque : la destruction massive de Gaza et les violations documentées sont connues depuis 2023.

  2. Contribution matérielle : les infrastructures et services fournis sont indispensables aux opérations de surveillance, de ciblage et de contrôle.

  3. Absence de mesures correctives : aucune suspension majeure de contrats ni audit indépendant n’a été menée malgré les signaux d’alerte.

Conclusion
Microsoft, Oracle, Google, IBM et HPE démontrent qu’au XXIe siècle, la guerre ne se mène pas seulement avec des tanks et des bombes, mais aussi avec des serveurs, du code et des bases de données. La neutralité technologique, dans un contexte de crimes de masse, est un mythe. Tant que ces entreprises continueront à fournir leurs services sans appliquer un devoir de vigilance strict, elles resteront, aux yeux du droit et de l’histoire, des complices technologiques d’un génocide.

Footnotes

  1. Rapport de la Rapporteure spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les TPO, A/HRC/55/73, mars 2024.

  2. The Guardian, « Microsoft investigates Israeli military's use of Azure cloud storage », 9 août 2025.

  3. Ibid.

  4. Microsoft, On the Issues Blog, 15 mai 2025.

  5. Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ONU, 2011, principe 17.

  6. Times of Israel, « Oracle opens underground data center in Jerusalem », 2022.

  7. The Intercept, témoignages sur Project Menta, 2024.

  8. Calcalist Tech, entretien avec Safra Catz, 2023.

  9. Time Magazine, « Google Contract with Israeli Government Raises Concerns », 2024.

  10. The Intercept, « Google’s Nimbus Contract Includes AI for Surveillance », 2022.

  11. No Tech for Apartheid, communiqué, 2023.

  12. +972 Magazine / Local Call, enquêtes sur Lavender et Where’s Daddy?, 2024.

  13. Access Now, rapport « Gaza: Big Tech and Biometrics », 2024.

  14. Who Profits, « HPE and the Basel System », 2023.

  15. Amnesty International, « Israel’s digital occupation », 2023.

  16. Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, art. 16 ; Statut de Rome, art. 25(3)(c).