Éduquer pour effacer : Israël, quand l’école fabrique l’oubli et détruit la mémoire palestinienne
Introduction
« L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde », disait Nelson Mandela. Mais entre les mains d’un pouvoir colonial, elle peut devenir une arme de domination, un outil de manipulation et un champ de bataille. Israël en offre aujourd’hui l’exemple : d’un côté, un système scolaire qui conditionne ses élèves à voir l’Autre comme une menace existentielle ; de l’autre, une guerre systématique contre l’éducation palestinienne, bombardée, censurée, délégitimée.
1. L’école israélienne : une fabrique de peur et d’ignorance
Dès les premières classes, les élèves israéliens apprennent à percevoir le Palestinien comme un « absent » ou comme une figure inquiétante.
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Dans une étude exhaustive, la chercheuse Nurit Peled-Elhanan a montré que les manuels d’histoire et de géographie présentent rarement les Palestiniens comme un peuple avec une culture et une histoire. Quand ils apparaissent, c’est sous des traits péjoratifs : barbares, sales, violents ou « problème démographique »[1].
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Des épisodes sanglants comme Deir Yassine (1948) sont décrits non pas comme des massacres, mais comme des « événements nécessaires » qui auraient permis la création de l’État[2].
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La Nakba, catastrophe fondatrice pour les Palestiniens, est effacée ou réduite à une migration volontaire.
L’école israélienne, loin de transmettre l’esprit critique, inculque trois piliers idéologiques :
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Le droit exclusif du peuple juif sur la « Terre d’Israël » ;
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La nécessité d’une majorité démographique juive, même au prix de l’expulsion ou du massacre ;
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La militarisation : l’armée est glorifiée, les soldats érigés en modèles héroïques, et la guerre présentée comme horizon naturel[3].
Enfin, la Shoah occupe une place disproportionnée dans les programmes. Enseignée dès la maternelle, souvent à travers des images traumatisantes, elle est instrumentalisée comme une justification de la domination actuelle : « si nous ne contrôlons pas les Palestiniens, un autre génocide nous frappera »[4].
2. Un système éducatif colonial et raciste
Cette construction idéologique ne vise pas seulement les Palestiniens.
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Les Juifs orientaux (Mizrahim) sont présentés dans les manuels comme « arriérés » à cause de leur proximité avec la culture arabe ; l’école doit les « purifier » pour les occidentaliser[5].
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Les Juifs éthiopiens subissent un traitement similaire : représentés comme primitifs ou malades.
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Quant aux femmes, elles sont pratiquement effacées de l’histoire nationale : leur rôle se limite à celui de mères qui enfantent des soldats.
Il ne s’agit donc pas seulement d’un racisme contre les Palestiniens, mais d’une hiérarchie raciale plus large qui classe les citoyens selon leur degré de conformité à l’« idéal sioniste européen ».
3. La guerre contre l’éducation palestinienne
Pendant que l’école israélienne enseigne la peur, Israël mène une guerre matérielle contre l’éducation palestinienne.
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À Gaza, depuis 2023, près de 90 % des établissements scolaires ont été endommagés ou détruits par les bombardements[6]. L’UNICEF parle d’un « effondrement total du système éducatif » : des centaines de milliers d’enfants sont privés d’école[7].
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À Jérusalem-Est, les manuels palestiniens sont censurés ou remplacés par des versions modifiées par le ministère israélien, qui effacent les références à l’histoire et à la culture palestiniennes[8].
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Sur la scène internationale, Israël et ses alliés mènent une campagne visant à délégitimer les programmes palestiniens. Des organismes comme IMPACT-se accusent régulièrement ces manuels d’« incitation à la haine » — accusations reprises par certains responsables européens pour suspendre des financements. Mais plusieurs rapports indépendants (notamment du Georg Eckert Institute) ont montré que ces accusations reposent sur des lectures sélectives, et que les manuels palestiniens distinguent clairement entre judaïsme et sionisme, sans antisémitisme explicite[9].
Ainsi, Israël agit sur deux fronts : enseigner l’oubli chez soi, et interdire la mémoire chez l’autre.
4. Deux éducations, deux vérités
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En Israël, l’école fabrique des enfants convaincus que leur survie passe par la domination.
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En Palestine, l’école tente, malgré les interdictions et les bombes, de transmettre une histoire, une langue, une identité.
C’est cette asymétrie que l’on refuse de voir. Et c’est ce qui rend grotesque l’accusation selon laquelle les manuels palestiniens « nourriraient la haine ». Quelle haine est la plus dangereuse ? Celle qu’Israël invente chez l’ennemi, ou celle qu’il cultive patiemment, année après année, dans l’esprit de ses propres enfants ?
Conclusion
Il ne s’agit pas d’un simple débat académique. Il s’agit d’une réalité quotidienne : des générations d’enfants israéliens élevés dans la peur, et des générations d’enfants palestiniens élevés sous les bombes.
Si l’éducation est le reflet d’un projet politique, alors le projet israélien est clair : fabriquer un peuple qui accepte l’occupation comme un destin, et empêcher le peuple occupé de transmettre son identité.
Tant que les écoles palestiniennes seront des cibles et que les manuels israéliens effaceront l’existence du voisin, il n’y aura pas de paix. Il n’y aura que des élèves grandissant dans les ruines — ruines des classes de Gaza, ruines de la vérité dans les salles d’Israël
Notes
[1] Nurit Peled-Elhanan, Palestine in Israeli School Books: Ideology and Propaganda in Education, Routledge, 2012.
[2] Ibid., chap. 3.
[3] Ibid., chap. 5.
[4] Ibid., chap. 6.
[5] Ibid., chap. 4.
[6] UNICEF, « Education under Fire: Gaza », rapport 2024.
[7] Save the Children, « Gaza Education Emergency », 2024.
[8] Human Rights Watch, « A Threshold Crossed », 2021.
[9] Georg Eckert Institute, Analysis of Palestinian Textbooks, rapport commandé par l’UE, 2021.
Annexe : Exemples documentés
A. Extraits de manuels israéliens (traduits par Nurit Peled-Elhanan)
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« Les Arabes, peuple arriéré, n’ont pas su exploiter les terres de la Palestine. »
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« La guerre de 1948 a entraîné la fuite volontaire des Arabes, qui ont abandonné leurs villages. »
B. Destruction d’écoles à Gaza (2023–2024)
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9 enfants sur 10 à Gaza ne sont pas retournés à l’école depuis octobre 2023 (UNICEF).
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Plus de 300 établissements scolaires utilisés comme abris ont été bombardés (ONU).
C. Censure à Jérusalem-Est
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Des livres scolaires palestiniens confisqués car ils mentionnaient le mot « Nakba ».
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Remplacement des cartes de géographie : suppression du mot « Palestine », remplacé par « Israël ».
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