Le blanchiment du sang : quand un État génocidaire s’offre une campagne de promotion

 


Le blanchiment du sang : quand un État génocidaire s’offre une campagne de promotion

Il est des scènes qui défient la raison et insultent la mémoire des victimes. Tandis que la bande de Gaza est réduite à un champ de ruines, que plus de 65 000 Palestiniens – femmes et enfants pour la plupart – sont enterrés sous les décombres selon le ministère de la Santé palestinien, une délégation de 250 parlementaires américains s’envole, tous frais payés, pour Israël. Voyage de luxe, visites officielles, arbres plantés en colonie : une mise en scène soigneusement orchestrée par le ministère israélien des Affaires étrangères. Non pas pour comprendre une tragédie humanitaire qualifiée d’acte de génocide par une commission d’enquête indépendante de l’ONU (2023-2024), mais pour en offrir une lecture aseptisée et complaisante.

Un blanchiment politique et symbolique

Le droit international ne laisse aucune ambiguïté. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ONU, 1948), ratifiée par Israël et par les États-Unis, définit le génocide comme l’intention de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Les massacres de civils, la destruction systématique d’infrastructures vitales, la famine organisée – éléments documentés par de multiples rapports des Nations Unies, d’Amnesty International et de Human Rights Watch – s’inscrivent dans cette qualification.

Or, loin de dénoncer ou de prévenir ce crime, des élus étrangers se prêtent à une campagne de légitimation. Le voyage en Israël devient ainsi un mécanisme de blanchiment symbolique : on remplace les images de corps mutilés par celles de parlementaires souriants devant le mur des Lamentations ou en train de planter un olivier dans une colonie. Un arbre contre une fosse commune : la substitution est cynique, mais efficace.

Une pratique historique : la propagande par invitation

Cette instrumentalisation du voyage officiel n’est pas une innovation israélienne. Les régimes autoritaires du XXᵉ siècle y ont eu recours de façon systématique. L’Allemagne nazie organisait, dès les années 1930, des visites pour diplomates, journalistes et écrivains étrangers afin de montrer un pays « moderne et prospère », loin des camps de concentration déjà en activité. L’Afrique du Sud de l’apartheid multipliait les voyages « culturels » pour normaliser son image auprès des élites occidentales. Israël s’inscrit dans cette continuité : normaliser l’inacceptable en rendant le crime invisible.

Les études en sciences politiques parlent de soft power ou de « diplomatie d’influence », mais il s’agit ici d’un soft power du sang, où l’hospitalité et le luxe servent à effacer la trace du massacre.

Le droit contre l’immunité politique

L’article I de la Convention de 1948 impose pourtant aux États l’obligation non seulement de punir le génocide, mais aussi de le prévenir. Or, participer à une tournée promotionnelle financée par l’État accusé d’un tel crime revient à violer l’esprit, sinon la lettre, de cette obligation.

De plus, la Cour internationale de justice (CIJ) a rappelé, dans son ordonnance de janvier 2024 dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël, que les États tiers ont l’obligation de ne pas apporter aide ou assistance à la commission d’un génocide. Les voyages sponsorisés, en légitimant politiquement Israël, pourraient être interprétés comme une forme de complicité morale, voire politique, dans le maintien de l’impunité.

La France et le blanchiment médiatique

La France n’est pas épargnée par ce phénomène. Depuis des décennies, l’ambassade d’Israël à Paris organise des voyages « pédagogiques » pour des parlementaires, journalistes et intellectuels. Certains reviennent avec des tribunes dithyrambiques sur « la seule démocratie du Moyen-Orient », reprenant à la lettre la rhétorique israélienne.

Le philosophe Michel Foucault avait mis en garde contre ce mécanisme en analysant la propagande : « Le pouvoir ne se contente pas de réprimer, il produit des récits. » Ici, le récit produit est celui d’un Israël victime, assiégé, résilient – alors même qu’il perpètre, selon des institutions internationales, des crimes de masse contre une population enfermée et privée de droits fondamentaux.

L’opération est double : elle légitime le criminel et silence la victime. Ce qui se joue n’est pas seulement une bataille de territoires, mais une bataille de récits.

Acheter les consciences : entre corruption et soft power

Il est essentiel d’interroger la dimension éthique et juridique de ces pratiques. Lorsqu’un gouvernement finance directement les voyages d’élus étrangers, n’est-on pas à la frontière de la corruption politique ? Aux États-Unis, des associations liées à l’AIPAC financent régulièrement de tels déplacements. En France, plusieurs élus ont été critiqués pour leurs voyages payés par des institutions étrangères, dont Israël.

En économie politique, on parlerait d’un conflit d’intérêts. En droit international, on pourrait évoquer une forme de complicité indirecte. En éthique, il s’agit d’un renoncement pur et simple à l’intégrité.

Une banalisation du crime par la mise en récit

Le problème fondamental est là : en transformant un génocide en sujet de relations publiques, Israël banalise l’horreur et impose son récit à l’agenda politique occidental. Les images de cadavres sont remplacées par des images de parlementaires. Les cris de Gaza par les discours de Netanyahou. La tragédie par la mise en scène.

C’est le même mécanisme que dénonçait Hannah Arendt en parlant de la « banalité du mal » : non pas des monstres sanguinaires, mais une chaîne d’actes administratifs, de voyages, de sourires, de déclarations officielles, qui transforment l’extermination en simple dossier diplomatique.

Conclusion : un génocide sponsorisé

Le blanchiment du sang palestinien est une opération globale. Il combine le luxe des voyages officiels, la séduction des élites, la complaisance des médias et la complicité des institutions. Il transforme la démocratie en façade, et les élus en agents de communication d’un État accusé de génocide.

L’histoire jugera. Car les précédents sont clairs : les régimes qui ont usé de la propagande pour masquer leurs crimes n’ont pas échappé éternellement au tribunal de l’histoire. Mais en attendant, chaque arbre planté dans une colonie, chaque photo prise devant un mur, chaque tribune complaisante d’un intellectuel ou d’un journaliste participe au même processus : blanchir l’injustice, banaliser le crime, légitimer l’innommable.


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