Un ordre né après Auschwitz meurt sous les bombes de Gaza

 


Un ordre né après Auschwitz meurt sous les bombes de Gaza
 
En 1945, le monde s’est réveillé avec la honte d’avoir laissé faire l’indicible. Des millions de morts, des camps d’extermination, une guerre mondiale dont l’horreur a révélé jusqu’où un État pouvait aller, en toute légalité, en l’absence de règles supérieures à sa souveraineté. De cette nuit, l’humanité a cru tirer une leçon : plus jamais ça.
C’est cette leçon qui a donné naissance au droit international contemporain. À Nuremberg, pour la première fois, des dirigeants ont été jugés pour des crimes « contre l’humanité ». En 1948, l’ONU adoptait la Déclaration universelle des droits de l’homme, et dans la foulée, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. L’année suivante, les Conventions de Genève étaient élargies pour encadrer la guerre et protéger les civils. Le message était clair : la souveraineté d’un État ne saurait justifier l’injustice ou la barbarie.
Mais aujourd’hui, cet édifice construit sur les ruines d’Auschwitz s’effondre sous les bombes qui tombent sur Gaza, dans une indifférence qui confine à la complicité.
L’impunité d’un État au-dessus des lois
Israël ne mène pas seulement une guerre contre les Palestiniens. Il mène une guerre contre l’ordre juridique international lui-même. Blocus illégal de Gaza, colonies en Cisjordanie, annexions, frappes indiscriminées sur des zones civiles, destruction d’hôpitaux, famine organisée, crimes documentés par des dizaines d’ONG… Tout cela constitue, en droit, des violations graves, répétées, planifiées.
Et pourtant, aucun embargo. Aucune suspension d’accords. Aucune conséquence. Au contraire, les États-Unis – censés être les garants de l’ordre international qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer – protégeront Israël coûte que coûte, y compris contre les institutions qu’ils ont jadis fondées.
Depuis octobre 2023, alors que des milliers d’enfants sont tués, les États-Unis multiplient les vétos au Conseil de sécurité pour bloquer des appels à un simple cessez-le-feu. Lorsque la Cour internationale de Justice évoque un « risque plausible de génocide », Washington se contente de dire qu’il ne partage pas cet avis. Et quand la Cour pénale internationale envisage de lancer des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens, les menaces et sanctions pleuvent.
Les bombes américaines, les ruines du droit
Ce n’est pas seulement un drame moral. C’est un précédent historique aux conséquences incalculables. Car le droit international ne vaut que s’il s’applique à tous. La justice internationale n’est pas un instrument diplomatique. Elle est le dernier rempart contre le retour à la loi du plus fort.
En permettant à un État de tuer en masse, d'affamer une population, de s'affranchir de toute enquête, de détruire les institutions internationales qui cherchent à établir la vérité, les puissances occidentales sapent les fondements même de l'ordre qu'elles prétendent défendre.
Aujourd’hui, Israël bombarde Gaza, mais les États-Unis bombardent le droit.
Gaza, miroir inversé de Nuremberg
Ce qui se passe à Gaza est un point de bascule. C’est un moment où l’on voit que le « plus jamais ça » de 1945 peut devenir un mensonge historique. Le même monde qui a jugé des criminels nazis à Nuremberg ferme les yeux sur les crimes de guerre lorsqu’ils sont commis par un allié stratégique.
Comme le rappelle Francesca Albanese, rapporteur spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés :
« Ce n’est pas le droit international qui a échoué, c’est sa mise en œuvre, entravée par ceux-là mêmes qui prétendent le défendre. »
Le monde n’a pas manqué de lois en 1940. Il manquait de volonté. De courage. D’universalité. Allons-nous recommencer ?
Ce qui meurt à Gaza, ce ne sont pas seulement des vies. C’est l’idée même qu’il existe un droit supérieur à la force.
En détruisant Gaza sous couvert de légitime défense absolue, en contournant les mécanismes de justice internationale, en criminalisant les défenseurs des droits humains, Israël ne détruit pas seulement un territoire. Il contribue à effacer la mémoire même de ce qui a fondé l’ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale.
Et tant que l’Occident s’en rendra complice, il en portera, demain, la responsabilité historique.